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Petite Bulle Littéraire
6 octobre 2009

L'Elégance du hérisson

Extraits du roman de Muriel BARBERY, L'Elégance du hérisson éd. Folio (Gallimard)

1024396_gf"Je suis veuve, petite, laide, grassouillette, j'ai des oignons aux pieds et, à en croire certains matins auto-incommodants, une haleine de mammouth." p.15

"Tandis que, garante de ma clandestintié, la télévision de la loge beuglait sans que je l'entende des insanités pour cerveaux de praires, je me pâmais, les larmes aux yeux, devant les miracles de l'Art." p.18

"Apparemment, de temps en temps, les adultes prennent le temps de s'asseoir et de contempler le désastre qu'est leur vie. Alors ils se lamentent sans comprendre et, comme des mouches qui se cognent toujours à la même vitre, ils s'agitent, ils souffrent, ils dépérissent, ils dépriment et ils s'interrogent sur l'engrenage qui les a conduits là où ils ne voulaient pas aller." p19

"Les gens croient poursuivre les étoiles et ils finissent comme les poissons rouges dans un bocal." p.20

"Mais ce qui est certain, c'est que dans le bocal, je n'irai pas. C'est une décision bien réfléchie. Même pour une personne aussi intelligente que moi, aussi douée pour les études, aussi différente des autres et aussi supérieure à la plupart, la vie est déjà toute tracée et c'est triste à pleurer : personne ne semble avoir songé au fait que si l'existence est absurde, y réussir brillamment n'a pas plus de valeur qu'y échouer. C'est seulement plus confortable. Et encore : je crois que la lucidité rend le succès amer alors que la médiocrité espère toujours quelquechose." p.22

"[...] Manuela a peaufiné au Coton-Tige des chiottes dorées à la feuille qui, en dépit de cela, sont aussi malpropres et puantes que tous les gogues du monde parce que s'il est bien une chose que les riches partagent à leur corps défendant avec les pauvres, ce sont des intestins nauséabonds qui finissent toujours par se débarrasser quelque part de ce qui les empuantit. Aussi peut-on tirer une révérance à Manuela. Quoi que sacrifiée sur l'autel d'un monde où les tâches ingrates sont réservées à certains tandis que d'autres pincent le nez sans rien faire, elle n'en démord pour autant pas d'une inclination au raffinement qui surpasse de loin toutes les dorures à la feuille, à forfiori sanitaires." p. 29-30

Manuela "extirpe de son vieux cabas une petite bourriche de bois clair dont dépassent des volutes de papier de soie carmin et, nichées dans cet écrin, des tuiles aux amandes. Je prépare un café que nous ne boirons pas mais des effluves duquel nous raffolons toutes deux et nous sirotons en silence une tasse de thé vert en grignotant nos tuiles." p.30

"[...] vulgarité des employeurs dont tout l'argent ne sait masquer la vilenie et qui s'adressent à elle comme à un chien croûtant de pelades." p.31

"-Marx ? interroge-t-elle en prononçant le"x" comme un "ch", un "ch" un peu mouillé qui a le charme des ciels clairs." p.31

"-J'y comprends rien, m'a dit Manuela pour qui un bon rôti est un bon rôti et c'est tout." p.33

"Cet après-midi, M.Arthens porte une grande lavallière à poids qui flotte autour de son cou de patricien et ne lui sied pas du tout parce que l'abondance de sa chevelure léonine et la bouffance éthérée de la pièce de soie figurent à elles deux une sorte de tutu vaporeux où se perd la virilité dont à l'accoutumée, l'homme se pare." p. 34

"Renée. Il s'agissait de moi. Pour la première fois, quelqu'un s'adressait à moi en disant mon prénom. Là où mes parents usaient du geste ou du grondement, une femme, dont je considérais à présent les yeux clairs et la bouche souriante, se frayait un chemin vers mon coeur et, prononçant mon nom, entrait avec moi dans une proximité dont je n'avais pas idée jusqu'alors. Je regardai autour de moi un monde qui, subitement, s'était paré de couleurs. En un éclair douloureux, je perçus la pluie qui tombait au-dehors, les fenêtres lavées d'eau, l'odeur des vêtements mouillés, l'étroitesse du couloir, mince boyau où vibrait l'assemblée des enfants, la patine des portemanteaux aux boutons de cuivre où s'entassaient les pèlerines de mauvais drap - et la hauteur des plafonds, à la mesure du ciel pour un regard d'enfant. Alors, mes mornes yeux rivés sur les siens, je m'agrippai à la femme qui veait de me faire naître." p.46

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